prêcher dans le desert

Environnement. Haro sur la desertification, Le Point n°1817, 12/07/07
Frederic Lewino, avec Gwendoline Dos Santos

Les Nations unies appellent a une mobilisation generale contre la desertification, acceleree par le rechauffement planetaire. Pour enrayer le flot d’emigres climatiques et ecarter les risques de conflits.
Insupportable paradoxe ! Tandis que des cohortes de touristes occidentaux s’entassent sur les plages priant pour le retour du soleil, des millions de pauvres heres fuient leur terre natale calcinee par un astre solaire de plus en plus impitoyable. La desertification de la planete ne date pas d’hier, mais, avec le rechauffement climatique, ce cancer ecologique est en train de devenir l’un des pires fleaux du XXIe siecle. Kofi Annan, le precedent secretaire general des Nations unies, en est absolument persuade : « La desertification est l’un des processus de degradation environnementale les plus alarmants au monde. »
Habitant le village de Tissaf, dans l’Est marocain, Aicha n’a certainement jamais entendu parler de Kofi Annan ; en revanche, cette paysanne de 34 ans connait bien mieux que lui les affres de la desertification. Le troupeau de chevres de la communaute des femmes dont elle a la charge n’a plus un brin d’herbe a se mettre sous la dent depuis plusieurs mois. Dans cette zone aride, la pluie a totalement disparu. Ses betes survivent grace a l’eau apportee a dos d’ane depuis un puits lointain et aux aliments pour betail fournis par le programme TeleFood de la FAO. Le drame vecu par Sessabo Mothibeli, paysan du Lesotho, est du meme ordre. Il designe son champ de mais brule par la secheresse : « Les epis sont tellement secs que je ne peux meme pas les donner aux animaux. » Tous les habitants de son village, Mafeteng, et des centaines aux alentours dependent dorenavant de l’aide du Programme alimentaire mondial. A une autre echelle, les viticulteurs australiens souffrent egalement d’une incroyable absence de pluie depuis plusieurs mois. Terry Dolle a du faire une croix sur sa vigne apres la pire secheresse qu’il ait jamais connue. « On n’a plus rien ! » gemit-il.
Muraille verte
Le rechauffement climatique exacerbe une desertification deja bien entamee par la surexploitation des sols, le surpaturage, la deforestation, la mauvaise irrigation... Les releves meteorologiques de ces dernieres annees confirment la diminution des pluies dans de nombreuses regions souffrant deja d’aridite. Tandis que des vagues de secheresse se multiplient ailleurs. Notamment en Europe depuis quelques annees. Et, s’il a beaucoup plu sur la France ces dernieres semaines, le sud de l’Europe rampe sous une effroyable canicule. La Grece, l’Espagne et bien d’autres voient avec effarement l’eau devenir de plus en plus rare pour l’agriculture, pour les villes. D’ores et deja, le tiers du territoire espagnol tourne au desert.
L’Afrique reste, bien sur, le continent le plus touche avec les deux tiers de sa superficie occupes par des zones arides. La bande equatoriale est prise en tenaille entre le Sahara et le Kalahari, qui avancent irremediablement. Le lac Tchad symbolise cet assechement africain. En quarante ans, sa surface a fondu d’un facteur cinq, passant de 25 000 kilometres carres a 5 000. Le lac est a la fois victime des cultures maraicheres, qui pompent de plus en plus d’eau, et d’une baisse de 15 a 20 % des precipitations en Afrique de l’Ouest, ou coulent les fleuves qui l’alimentent.
De multiples tentatives ont eu lieu pour enrayer la desertification africaine. En vain, car les pays du Sahel n’ont ni les moyens ni les competences necessaires pour lutter efficacement, et l’aide internationale n’est pas souvent a la hauteur des enjeux. L’an dernier, lors d’un symposium consacre a l’avancee du desert organise a Dakar, les autorites senegalaises reprenaient l’idee nigerienne d’une muraille verte pour endiguer le Sahara. L’idee est belle : de Dakar a Djibouti, planter des arbres sur 5 kilometres de largeur. Les botanistes et les agronomes ont commence a reflechir aux essences les plus adaptees. Le president du Senegal, Abdoulaye Wade, parle d’une ligne Maginot consolidee par des centaines de bassins de retention pour pieger les maigres pluies. Couteux projet - 1,5 milliard de dollars - qui, comme tant d’autres en Afrique, est menace d’enlisement dans les sables mouvants diplomatiques, administratifs et financiers.
Apres l’Afrique, l’Asie est le deuxieme continent en detresse aquatique. Ce n’est pas les deserts qui manquent. Bornons-nous aux malheurs de la Chine qui ne cessent d’empirer. Au cours du dernier demi-siecle, les deserts de l’empire du Milieu ont devore 700 000 hectares de terres arables, 2,35 millions d’hectares de paturages et 6,4 millions de foret. Plus grave : les pertes annuelles ont double depuis vingt ans. Quelque 24 000 villages chinois sont ainsi menaces de disparition. L’an dernier, la province du Hubei, aux environs de Pekin, souffrit du pire manque d’eau depuis plus d’un siecle. La recolte de ble s’est effondree. Cette annee, bis repetita, les pluies ont de nouveau boude une grande partie de la Chine du Nord au cours des six premiers mois, au point qu’un demi-million de paysans ont ete mobilises par les autorites pour creuser des puits et transporter de l’eau depuis des regions mieux arrosees. Apres huit annees de deficit pluviometrique, le gouvernement a choisi d’interdire la riziculture autour de Pekin, de facon a garantir un approvisionnement suffisant de la ville en eau durant les JO de 2008.
Meme le Nouveau Monde n’echappe pas a la calamite. Le sud de la Californie a vecu ce printemps la pire secheresse depuis cent trente ans. Seulement 8,15 centimetres de pluie contre 38,3 en moyenne, a Los Angeles. Les autorites craignent de nouveaux incendies geants tels ceux qui ont ravage l’Etat en 2006. Une etude publiee recemment par le magazine scientifique Science confirme que le sud-ouest des Etats-Unis et le nord du Mexique sont promis a une plus forte aridite en raison du rechauffement climatique.
Emigration
Selon le dernier decompte des Nations Unies, 2 milliards de personnes habitent en zone deja aride ou en passe de l’etre. On ferait mieux de s’en inquieter en Occident, car cette situation conduit a grossir le flot de refugies climatiques. Les experts prevoient ainsi une vague d’emigration de 60 millions d’individus de l’Afrique subsaharienne vers l’Afrique du Nord et l’Europe, avant 2020. Les charters de retour n’inverseront jamais cette tendance. Mieux vaut aider les pays secs a lutter efficacement contre l’aridite galopante. Le 17 juin, l’universite des Nations unies publiait un rapport poussant les nations riches dans ce sens. « La desertification, amplifiee par le changement climatique, represente le plus grand defi environnemental de notre epoque » , met en garde le professeur J. A. Van Ginkel, recteur de l’universite. Saura-t-il convaincre ? Depuis dix ans, la Convention des Nations unies sur la lutte contre la desertification engage 170 pays, mais demeure un coup d’epee dans l’eau. C’est grave, car, outre l’emigration massive, le denuement engendre par la desertification est le terreau de nouvelles guerres. « Le conflit du Darfour a commence par une crise ecologique, generee au moins en partie par le changement climatique » , declarait recemment le secretaire general de l’Onu, Ban Ki-moon, au Washington Post . Prechera-t-il encore longtemps dans le desert ?